#5 - Quelle place pour l'égo dans le management moderne
D’aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais eu confiance en moi.
Septembre 2000, j’ai 23 ans, je débute ma scolarité pour devenir directrice de prison.
Quelques semaines plus tôt, la découverte des résultats du concours d’entrée me plaçant à la 4ème place a été le plus beau jour de ma vie.
Cela fait plusieurs mois que je prépare ce concours. Je connais ce milieu, ça fait 3 ans que je donne des cours à des personnes incarcérées comme bénévole. Pendant 1 an, je vais me former tout en étant payée, le Graal pour la jeune étudiante boursière que je suis. Je vais même pouvoir m’acheter une voiture.
La scolarité doit durer un an, à l’école nationale de l’administration pénitentiaire à Agen. Elle alterne des périodes de cours et des périodes de stage.
Le premier est un stage en uniforme pour découvrir le métier de surveillant. Les formateurs bienveillants nous envoient dans des établissements pénitentiaires proches de chez nous pour amortir la découverte du milieu carcéral.
Je suis affectée au centre pénitentiaire de Varennes le Grand en Saône et Loire, département où vivent mes parents et où je suis administrativement domiciliée. Sauf que la prison est à plus d’une heure de voiture de chez eux. Et que ma vie amoureuse est à Montpellier. Je comprends que je vais passer un mois seule, dans une petite chambre “de passage” à l’entrée de la prison. Mon monde s’écroule.
Je vais voir la responsable de la formation pour la convaincre de changer mon lieu de stage. Elle refuse. Les lieux sont déterminés, c’est fait. Je fonds en larme devant elle.
Deuxième drame, je pleure devant une responsable hiérarchique, celle qui va noter mon année de stage et décider de la suite de ma carrière. Enfin c’est ce que je pense à l’époque.
Je suis pétrifiée. Je m’apprête à devenir directrice de prison, à gérer des crises, des incidents violents, à manager des hommes qui ont l’âge de mon père et je pleure parce que je ne réalise pas mon premier stage près de mon petit ami de l’époque.
Le doute s’installe. Qu’est-ce que je fais là dans cette promotion dont je suis la plus jeune, remplie de gens très sûrs d’eux et de leurs compétences. Il y a eu erreur de casting, c’est sûr. J’ai été prise parce qu’à l’oral, j’ai su déclamer un vers d’Apollinaire, mon poète préféré, passion que je partage avec l’un des membres du jury.
“Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie, ta vie que tu bois comme une eau de vie.” Alcools, Guillaume Apollinaire
Une évidence s’impose, je n’ai pas l’étoffe et je ne vais pas être à la hauteur. Mon égo est atrophié et je vais exercer dans un milieu où l’affirmation de soi est reine ! Mon estime de moi est au plus bas, il va en falloir des efforts pour rentrer dans le costume !
L’ego est-il encore un outil du succès
Cette administration pour laquelle je ne pensais pas avoir l’étoffe, j’y ai passé 20 ans. 21 ans pour être exacte si je compte cette année de formation.
En évoluant au sein de l’administration pénitentiaire, j’ai fini par comprendre une chose. Il y a des dirigeants très égocentriques qui ont soif de pouvoir, mais il y a en a aussi beaucoup d’autres qui sont de profonds humanistes, humbles et pleins de doute. Ca a permis de me forger mon idée sur la Leader que je voulais être.
La difficulté c’est que le doute est peu visible. Ce n’est pas vendeur et du sol au plafond de la hiérarchie, on ne l’aime pas. Tu dois te montrer sûr de toi, affirmé.
Tu seras un homme mon fils !
Aujourd’hui, dans un monde complexe et dynamique du travail, la question émerge de façon provocante : faut-il vraiment avoir un égo démesuré pour gravir les échelons professionnels et connaître le succès ?
Lorsque nous nous penchons sur les tendances actuelles, force est de constater que l'on valorise de plus en plus des soft skills telles que l'humilité, l'écoute active et le sens du collectif. Ces qualités, essentielles pour créer des environnements de travail collaboratifs et sains, semblent pourtant parfois être mises de côté dans les réalités de la promotion et de la reconnaissance au sein des entreprises et des administrations.
Il est vrai qu’au sein de nombreuses organisations, les individus qui se démarquent sont souvent ceux qui savent se mettre en avant, qui parlent plus fort que les autres, et qui s’imposent dans le paysage professionnel avec assurance, voire arrogance.
Ce phénomène soulève un paradoxe : malgré les discours modernes axés sur le développement personnel et le leadership empathique, l’égo et l’arrogance semblent encore tenir un rôle prépondérant dans la réussite professionnelle. Cependant, cette dynamique est loin d’être sans conséquences.
Les Effets Délétères sur les Équipes
Les conséquences de ce type de comportements sont connues : la plupart du temps, elles se traduisent par une détérioration de l’ambiance et du moral au sein des équipes. Par exemple, l’arrogance comportementale peut entraîner une dégradation des capacités cognitives et une perte d’intelligence émotionnelle.
On appelle ce phénomène le syndrome d’Hubris.
Il frappe des personnes assoiffées de pouvoir qui ne supportent plus la contradiction.
Les conséquences sur celui qui en souffre sont graves : narcissisme, perte d’empathie et d’intérêt pour les autres.
Le tableau est souvent assorti d’une dégradation du lien social et de la qualité de la relation.
L’individu pense tout savoir et a des difficultés à tirer les leçons de ses erreurs
Ce phénomène peut sembler banal, mais ses effets réels sont profondément nuisibles, tant pour l’individu concerné que pour son entourage. Ceux qui travaillent avec lui peuvent voir leurs propres motivations diminuer. En effet, la présence d’une personnalité arrogante peut provoquer un climat de peur où les collaborateurs se sentent moins enclins à partager leurs idées et à s’exprimer librement.
Les conséquences s'étendent donc bien au-delà de l'individu. Pour ceux qui travaillent avec des personnes à l'égo surdimensionné, les résultats sont souvent désastreux. La motivation des collaborateurs peut en pâtir gravement ; l’intelligence collective est alors atrophiée, et la créativité s’évanouit.
Les collègues peuvent même développer un sentiment d’insécurité, redoutant de partager leurs idées ou de montrer leur vulnérabilité dans un environnement où l’arrogance règne en maître.
La sécurité psychologique, socle des équipes qui fonctionne disparait.
Il est largement reconnu que cette peur de s’exprimer en public peut également provoquer la perte de confiance en soi, créant un cercle vicieux qui impacte la performance globale de l’équipe.
Vers un Leadership Centré sur l'Humilité et l'Écoute
Alors, comment contrer ce poison qui détériore les relations professionnelles et entrave la performance collective ?
Une solution serait de reconsidérer ce que nous valorisons dans nos futurs leaders.
Plutôt que de glorifier l’audace et le “talent” au mépris de l’influence positive sur l’équipe, pourquoi ne pas enseigner l’importance de l’humilité ?
Imposer des programmes pratiques axés sur le développement de l’intelligence émotionnelle, ainsi que des formations en compétences relationnelles, pourrait se révéler bien plus bénéfique que des cours d’affirmation de soi.
Il est essentiel d’apprendre à écouter authentiquement les autres, à ne pas occuper tout l’espace dans les discussions et à s’excuser lorsque c'est nécessaire.
La mise en pratique de ces compétences relationnelles crée des dynamiques plus saines au sein des équipes.
Prenons le temps de valoriser une philosophie de leadership qui prône l'écoute, l’humilité et le sens du collectif au lieu de renforcer des traits de comportement qui encouragent l’égo et l’arrogance.
Une remise en question nécessaire des normes de Leadership
Il est également crucial de prendre en compte les facteurs socioculturels qui influencent notre perception du leadership. Souvent, les discussions autour de la promotion des femmes dans le monde professionnel se centrent sur leur incapacité à s’imposer, à “bomber le torse” et à adopter une attitude plus assertive.
Quand tu es une femme tu dois en faire deux fois plus. En imposer deux fois plus.
Te faire broyer les doigts par tes collègues masculins quand tu leur serres la main.
Te faire imposer la bise pour ne pas passer pour l’antipathique ou la coincée de service.
Prendre la parole en dernier.
Puis te la faire couper par un homme qui a oublié de dire quelque chose.
Quand tu veux la reprendre, avoir ta voix couverte par celui qui parle plus fort que toi.
Te voir confier des responsabilités moins importantes parce que bon, on n’est pas sûr que tu aies l’étoffe.
Te faire traiter d’hystérique parce que tu as élevé la voix face à une situation insupportable.
Je pourrais continuer longtemps cette liste composée de 100% de situations vécues.
Plutôt que d’inciter les femmes à se conformer à des normes de leadership traditionnellement plus “viriles”, pourquoi ne pas encourager un style de leadership qui valorise les comportements associés aux femmes : l’écoute, l’humilité, l’empathie.
A l’usage, les hommes qui les testent y parviennent très bien !
Zoom sur… la communication non-violente
Il existe un outil surpuissant pour dire ce qu’on a à dire sans s’énerver et en instaurant un climat d’écoute active : c’est la communication non-violente.
Car entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous avez envie d'entendre, ce que vous entendez, ce que vous comprenez... il y a dix possibilités qu'on ait des difficultés à communiquer. Mais essayons quand même...
En quoi ça consiste ?
La Communication Non-Violente est une méthode de communication formalisée par Marshall Rosenberg fondée sur la bienveillance et l’authenticité.
J’y ai été formée lorsque j’étais cadre dans la fonction publique. Je dois dire que j’étais assez sceptique sur cette méthode qui intègre l’expression de ses émotions
(Quoaaa, je vais devoir dire ce que je ressens à l’un de mes collaborateurs ?!)
A l’époque j’avais dans mon équipe une personne qui était toujours en retard sur ce qu’on lui demandait, qui ne répondait pas aux sollicitations, ou plutôt qui répondait oui et qui ne faisait pas… ça me rendait dingue.
J’avais essayé différentes méthodes sans grands résultats. Alors je me suis dit que je n’avais rien à perdre à tester la CNV…
Et ô surprise ! L’entretien a été de qualité, j’ai pu exprimer les choses sans jugement et la personne a au moins pendant un temps tenu compte de ma demande.
La méthode
Voici la marche à suivre :
J’observe les faits
Je décris concrètement dans le présent ce que je perçois SANS INTERPRETER
J’exprime mes ressentis
Je partage mes émotions, mes sentiments
Je fais part de mes besoins
Je dis quels besoins présents ne sont pas satisfaits
Je formule une demande
Je formule une demande précise avec une action sous la forme positive SANS EXIGER
On peut l’utiliser dans la vie professionnelle comme dans la vie personnelle.
Y a pas que le travail dans la vie
Un film à découvrir sur le milieu carcéral que j’ai vu en avant-première en 2009 avec un super échange avec le réalisateur et les acteurs.
Des prises de son avaient été réalisées à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis où j’étais DRH à l’époque.
Le pitch
Condamné à six ans de prison, Malik El Djebena ne sait ni lire, ni écrire. A son arrivée en Centrale, seul au monde, il paraît plus jeune, plus fragile que les autres détenus. Il a 19 ans.
D’emblée, il tombe sous la coupe d’un groupe de prisonniers corses qui fait régner sa loi dans la prison. Le jeune homme apprend vite. Au fil des « missions », il s’endurcit et gagne la confiance des Corses.
Mais, très vite, Malik utilise toute son intelligence pour développer discrètement son propre réseau…
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